Imparfaite by Cecelia Ahern

Auteur:Cecelia Ahern [Ahern, Cecelia]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Jeunesse
ISBN: 9782013976435
Éditeur: Hachette Black Moon
Publié: 2017-05-16T22:00:00+00:00

34

Pia me scrute sans sourciller. Je sais que la presse n’a pas relaté mon sixième marquage, mais j’ignore pourquoi. J’aurais plutôt cru que Crevan veuille le crier sur les toits. S’il refuse de le lui révéler, elle-même ne peut le révéler. Ça me rassure qu’elle ne sache pas tout, et en même temps j’espère qu’elle prend conscience que le peu qu’elle sait de moi est faux. Elle a tenté de me déstabiliser quand je suis entrée. Je la déstabilise quand elle sort. Si Crevan lui a menti, alors son petit univers de certitude doit vaciller, et je veux avoir le plaisir de le lire sur sa figure.

— Au tribunal, il a énoncé cinq marquages.

Elle est manifestement choquée. J’hésite à insister. La chose finira par se savoir, mieux vaut que ça vienne de moi. En plus, c’est la vérité. Crevan ne pourra rien me reprocher. Mon cœur cogne très fort quand je déclare :

— Il est venu me trouver dans la Salle de Marquage. Il m’a demandé de me repentir. J’ai refusé. Alors il a ordonné un sixième marquage. Sur ma colonne vertébrale. Et sans anesthésie. Parce que j’étais selon lui Imparfaite jusqu’à la moelle.

Je décide de ne pas préciser que c’est lui-même qui m’a marquée. Celle-là, je la garde sous le coude.

— Je ne… Mais… Mais il n’avait pas le droit… Enfin, jamais on n’a…

Pia sait qu’elle ne peut en dire davantage. Douter du juge Crevan ? Remettre en question ses actions ? En compagnie d’une Imparfaite ? Ce serait de la folie.

— Vous n’avez qu’à lui poser la question, puisque vous vous entendez si bien.

Sur ce, je sors de la bibliothèque. Pia reste sur le pas de la porte, sous le choc. Intérieurement, j’exulte. Quand on est au fond du trou, on a le triomphe facile. Le tout est de les reconnaître, ces petites poches de lumière et d’espoir cachées dans l’obscurité.

Quand je regagne ma chambre, Mary May m’y attend. Elle a ouvert mes placards, étalé mes habits par terre, retourné mes étagères. Assise sur mon lit, elle parcourt mon journal intime. J’en pleurerais. Je n’y ai rien noté depuis le procès. Pas l’énergie. J’ai l’impression que c’était dans une autre vie, pourtant ce sont mes pensées perso, des petites bêtises, des trucs gênants mais qui comptaient pour moi à l’époque. Mes pensées secrètes, qu’elle me vole impunément.

Je m’apprête à protester, mais Mary May doit le pressentir : elle lève la main pour m’imposer le silence. Puis elle tourne la page et enfin referme le journal pour mieux m’inspecter de la tête aux pieds. Comme si elle me perçait à jour jusqu’à l’âme.

— Les règles m’autorisent à fouiller vos affaires quand bon me semble. Si vous poursuivez la rédaction de ce journal, pour vous interroger encore sur votre tour de cuisse ou vos futures performances sexuelles, par exemple… (Elle ricane, mes joues prennent feu.)… Alors vous devrez me le remettre tous les vendredis, afin que je le lise. Est-ce clair ?

Je déglutis. J’acquiesce.

Là-dessus, elle secoue la boule à neige Highland Castle trouvée dans mon chevet.

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